Samedi 1er mai, 6h02.En ce premier mai, jour chômé où je ne chômais pas, j’entrai dans la serre d’un pas décidé, essayant de me donner une contenance.Je m’avançais donc parmi mes rangs de fèves verdoyants, pleins à craquer, en me clarifiant la voix : « Les filles » lançai-je, « il va falloir cesser de vous hâter ! » Alors que je sentais la stupéfaction gagner la salle (enfin, la serre) je continuais : « Manu a parlé ! enfin non, il a juste fait un communiqué à la presse, bref, on déconfine… » Sentant les feuilles des belles frémir d’une excitation palpable je m’empressais de poursuivre « …mais pas tout de suite ! Ça rouvre bientôt, mais en fait, pour l’instant, tout ferme. ».Là, le soufflé est retombé d’un coup : « On n’y comprend plus rien » rétorquaient-elles. (Oui, nous partons du principe qu’elles me répondent, effet post-confinement sans doute) .« Je comprends que cela soit difficile à croire, mais il vous faudrait cesser de croître. » Murmurai-je, navrée « encore un peu de patience, les restaurants vont rouvrir, mais en attendant, les chefs vont prendre du repos après ces longs mois éreintants de vente à emporter. » expliquai-je. « Je connais votre ardeur à prendre de la hauteur et cet élan printanier qui vous exhorte à pousser, mais si vous pouviez figer un instant votre maturité, cela m’arrangerait… Beaucoup vous préfèrent « jeunes filles » plutôt que « grandes dames », quand la jeunesse façonne vos grains juste formés tout en tendresse.À travers vous, c’est l’image de notre société, je le déplore, mais le constat est là. Imparable et froid. ».À ce moment là, j’ai vu les belles vertes tourner au rouge et clairement ça sentait vinaigre… « Comment ?! » s’emportèrent-elles « ici, on a que faire de votre déconfinement calendaire ! Seuls comptent pour nous la terre, le soleil, la pluie et le vent. Ici c’est la nature qui nous fait, c’est elle qui nous anime et nous sublime. Le temps qu’il fait et le temps qui passe sont deux courbes continues entre lesquelles nous prenons place. Personne ne pourrait nous imposer un quelconque calendrier, même pas votre Président.Alors sûrement que vous ferez votre réouverture, mais peut être bien que ce sera sans nous ! » renchérirent-elles, boudeuses..« Allons…» essayai-je d’une petite voix désolée, « ne vous inquiétez pas, moi, je ne vous laisserai pas, car je sais si bien que vos graines contiennent la vie. Alors même si aujourd’hui personne ne veut de vous, nous on s’en fout. Même si le temps vient laisser sur vous sa trace, même si votre peau si lisse se froisse, je récolterai le fruit de votre passion pour un nouveau sillon, l’année qui suit. Et comme Alain Souchon le dit : rien, rien ne vaut la vie. ».
