Press Enter / Return to begin your search.

Pendant ce confinement/déconfinement, je n’ai pas été très loquace. 
Tout ce que j’avais à dire, je l’ai écrit, énoncé, en long, en marge et avec mes travers, dans ma dernière vidéo.
Ça a plu ou pas. Ça a inspiré certains, exaspérer d’autres, mais ce n’est pas très grave, car ce n’est pas important.  
L’important, c’est où nous en sommes aujourd’hui et qui nous serons demain.

Autant vous dire tout de suite, que je n’ai pas eu besoin d’une pandémie pour respecter les hôtesses de caisse, parce que pendant 8 ans, j’en étais une.
Pendant 8 ans, j’ai croisé des gens respectueux de ce métier et d’autres moins. 
Je connais très bien les regards de biais des gens pressés qui préfèrent oppresser. Ces gens qui n’ont rien de plus, mais pensent être davantage, alors qu’ils ne possèdent que ce qu’ils achètent.
Plutôt que de soutenir le regard, d’y trouver toute l’humanité qu’on peut y voir, ils préfèrent regarder dans la glace ce qu’on nomme le mépris de classes. Chauffeurs, hôtes de caisses, ou encore paysans, comme si nourrir les autres n’était pas suffisant pour avoir la considération de notre rang.

Je sais si bien qu’il n’existe pas de tâche ingrate, il n’y a que l’image que l’on s’en fait. Tout est utile, tout a un sens. C’est une évidence. 
Pourtant, pour tous ceux qui ont œuvré au quotidien pendant ces instants confinés, rien ne fut évident et désormais pour eux, tout est comme avant. 
Finis les applaudissements.

Je n’ai pas eu besoin d’une pandémie non plus pour percevoir la fragilité de la vie, parce qu’il y a 8 ans, j’ai failli la perdre, qu’en me réveillant d’un coma j’ai soudain compris que le temps qui nous était donné n’était qu’un sursis. 
Cette idée m’a d’ailleurs menée vers mon nouveau métier.

En revanche, pendant ces quelques mois, j’ai réalisé que j’avais subitement retrouvé le temps qui m’avait tant manqué. Celui qu’on tentait de me précipiter à la figure à allure effrénée. 
Soudain, tout s’est arrêté, les appels et les commandes, les visites et les messages. 
Les belles paroles, seules, persistaient, mais la musique manquait. 

Des très proches étaient en première ligne face à la maladie, alors pour moi rien n’avait plus tellement d’importance hormis l’essentiel : la santé et l’instant présent.
Puisque pour le monde entier, toute immédiateté s’était évaporée.
Je me suis donc attachée à reprendre le cours de mes champs, tranquillement. J’ai pris plaisir à retrouver mes plants, à semer, à planter, à désherber à les écouter croître gentiment, en reprenant ce temps.

Et puis, dans ces moments latents, il y a tous ceux qui ont répondu présent, qui ont apporté leur soutien et leur temps, qui ont permis à la Ferme de faire un pas vers l’avenir et de la faire grandir. 
Cette solidarité m’a émue d’une émotion qui reste en mémoire, tout comme me reste en mémoire le silence bavard de ceux que je croyais si proches et qui sont restés si loin que je n’ai pas même entendu leur écho… 

C’est ainsi que le monde vit in situ, avec ses vices et ses vertus, chacun prend la trajectoire fidèle à ses espoirs.

Après des mois, voici le confinement à peine fini que revoilà déjà la société abrutie par les hululements de la foule et la folie de la houle. 
Nous avions beau marteler, à nous rompre les poignets, qu’une retrouvaille avec la normale ne serait pas permise, mais l’anormal reste de mise. On y est, c’est certain, jamais si près d’aller trop loin, jamais si sûrs d’y n’être pas, jamais si las d’être hors des murs. 

Hébétés, balbutiants devant le gouffre béant, nous revoici le cœur englouti dans un consumérisme qui nous consume.  
Quand la vie, par les deux bouts, nous fume…
Resterons-nous, mines déconfites, à servir la fuite de nos idées vers le « grand-tout boursier » ?

Pour moi, en tout cas, ce qui est sûr c’est que mon rapport à la temporalité a changé. Le temps que l’on tentait de m’imposer est pausé, les choses sont remises à plat et chacun a repris sa place. 
Plus que jamais, la nature guidera mes pas de maraîchère, plus que jamais la nature prendra le temps qui lui est nécessaire dans mes champs et qu’importe que mes carottes soient les premières ou les dernières sur le marché. 
Je ne fais pas de mon métier une compétition, je fais de mon métier une passion, je fais en sorte que cette passion m’anime sans jamais se tarir, je fais en sorte que le temps ne me fasse pas faillir. 
Puisque la nature est notre respiration, puisque nous sommes l’air qui s’engouffre et qu’elle est le poumon, ce qui compte c’est que mon jardin et moi restons en adéquation.

À l’horizon du soir, il y a une direction à prendre pour chacun d’entre nous et la croisée des chemins est là, juste devant nous.